Lecture en cours

Stéphane Carlier : Clara lit Proust


Daniel Ducharme | Romans français ap 1900 | 2024-12-01


Une coiffeuse de Chalon, une petite ville de Bourgogne de moins de 40 mille habitants, commence à lire Du côté de chez Swann, un bouquin oublié par un client. Du coup, c'est la révélation : elle est éblouie par ce texte au point qu'elle néglige ses autres activités, y compris son compagnon qui finit par la quitter. Proust lui permet de découvrir une vision du monde, une nouvelle sensibilité aux choses qui l'entourent, et même d'échapper à son milieu modeste. Crédible ? Je ne sais pas, mais je suis convaincu que la lecture de Proust peut avoir un certain effet chez certaines personnes. Et si ce n'est pas le cas pour tout le monde, une chose demeure certaine : la lecture de Clara lit Proust s'avère une activité très agréable, même si vous n'avez jamais lu À la recherche du temps perdu et que vous n'avez pas l'intention de la lire. Je suis d'ailleurs convaincu que c'est le cas pour la plupart d'entre vous...

Dans ce roman de Stéphane Carlier, il n'est pas question que de Proust, bien entendu. L'écrivain brosse d'abord le portrait de la vie d'un petit salon de coiffure dans une ville de province (Cindy Coiffure). Ce faisant, il nous présente chacun des personnages, à commencer par madame Habid, la propriétaire du salon. Ensuite, il tisse des liens entre tous ces gens, chacun vivant comme il peut en ce siècle troublé, même si les Occidentaux ont atteint un niveau de richesse matérielle sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Mais, pour en revenir à Proust, la lecture de La recherche du temps perdu n'est pas d'un abord facile, nous en conviendrons, et l'auteur le reconnaît sans peine. En témoigne ce passage :

Elle a lu quoi, douze pages, et elle sait déjà comment ça va marcher entre eux. À elle de s’accrocher, de continuer à avancer, souvent dans le brouillard, parfois dans le noir, de ne pas se formaliser de ses phrases à tiroir et de ses imparfaits du subjonctif, de se munir de patience et, s’il le faut, d’un dictionnaire. À lui, en retour, à intervalles réguliers, chaque fois qu’elle s’y attend le moins, de l’éblouir.

Que reste-t-il de cette lecture ? Un roman léger sur un écrivain réputé difficile. J'ai lu À la recherche du temps perdu à deux reprises d'un couvert à l'autre, et je continue à le lire dans le désordre aujourd'hui. Au cours de mon existence, qui commence à compter pas mal d'années, j'ai souvent recommandé cette lecture à des amis, de nombreux amis même, et à ma connaissance, aucun d'eux n'est allé jusqu'au bout de cette œuvre immense. Stéphane Carlier, lui, a réussi là où j'ai échoué... Alors, ne m'écoutez plus, et aller lire Clara lit Proust. On verra bien si vous accrochez ou non.

Carlier, Stéphane. Clara lit Proust. Gallimard, 2022


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