Mélissa Da Costa : Tout le bleu du ciel
Daniel Ducharme | Romans français ap 1900 | 2024-05-01
J'ai décidé de lire Tout le bleu du ciel quand j'ai lu dans un magazine en ligne que Mélissa Da Costa, jeune autrice de l'âge de mon fils, a vendu plus d'un million de livres en 2023, détrônant les écrivains confirmés comme Guillaume Musso, Marc Lévy, Michel Houellebecq, etc. Il semblerait que les romans de Mélissa Da Costa sont appréciés parce qu'ils sont apaisants, des romans feel good comme disent les Français. Je vous dirai à la fin de cette note si je suis en accord avec cette catégorie, sans doute trop réductrice et, par le fait même, non respectueuse de l'œuvre. Comme vous le savez, je n'ai pas pour habitude d'orienter mes lectures en fonction de l'actualité. L'année dernière, j'ai rédigé une note de lecture sur Vivre vite, le roman de Brigitte Giraud qui a remporté le prix Goncourt en 2022, mais il s'agissait d'une exception, et veuillez considérer ce compte rendu de ce roman de Melissa Da Costa comme une exception de plus. Cela dit, Tout le bleu du ciel remonte à 2019, donc il n'est plus d'actualité, mais il me fallait bien débuter par une œuvre, et j'ai préféré choisir son premier roman qui, fait intéressant à noter, a d'abord été diffusé sur une plateforme de lectures publiques avant d'être publié par une maison d'édition ayant pignon sur rue. Si vous écrivez vous-même et si, comme 99% des auteurs, vous n'arrivez pas à vous faire publier, alors ne perdez pas espoir...
J'ai lu Tout le bleu du ciel sans savoir à quoi je m'attendais, car je n'ai lu aucune critique de ce roman dans un journal ou sur le Web. Je ne connaissais pas cette écrivaine. J'ai donc lu son premier roman sans préjugé, l'esprit ouvert, sans snobisme ni envie parce qu'elle en a vendu des milliers d'exemplaires, bref j'ai lu ce roman et je l'ai aimé parce que, si je n'avais pas aimé, je n'aurais pas pris la peine de rédiger cette note... (Ai-je déjà rédigé une note de lecture sur les romans de Guillaume Musso ou de Marc Lévy ?)
Tout le bleu du ciel a pour personnage principal Émile, 26 ans, un jeune homme de bonne famille qui a une sœur (Marjorie), des parents et un ami (Renaud). Tous lui témoignent de l'affection. Un jour, il apprend qu'il est atteint d'un Alzheimer précoce, ce qui a pour effet de faire drastiquement chuter son espérance de vie à deux ans, peut-être moins, peut-être plus, on ne sait pas trop, en fait. Il est seul, sa petite amie Vera l'ayant quitté un an plus tôt, une peine d'amour qu'il arrive difficilement à cicatriser. Autour de lui, ses proches deviennent adultes, ils commencent à fonder des familles. Même son meilleur ami revendique la paternité d'un enfant de six mois. Pour éviter d'affecter ses proches, et dans la crainte qu'ils le voient dans ce déclin qui ne tardera pas à survenir, il décide de partir en voyage en VR sans le dire à personne. Craignant la solitude, il fait passer une annonce sur un site afin de trouver une personne prête à partager cette expérience. Il ne reçoit qu'une seule et unique réponse : une jeune fille de Saint-Malo (Joanne) qui le rejoint au bord d'une bretelle d'autoroute près de Roanne, puis ils partent en direction des Pyrénées.
Le roman n'est pas structuré en parties, mais nous pourrions dire que la première consiste en sorte de road trip qui entraîne les deux jeunes gens sur les routes des Pyrénées, dans les milieux des randonneurs, ces personnes qui ont l'impression, pendant deux ou trois semaines, d'échapper à la civilisation qu'ils s'empresseront de retrouver une fois les vacances terminées. Dans le vieux VR, comme dans les tentes quand le jeune couple improbable s'écarte des routes pour emprunter des sentiers de montagne, Émile apprend petit à petit à connaître Joanne, une jeune fille toute frêle qui ne porte que des vêtements noirs, qui parle peu, et surtout pas d'elle-même, qui pratique la méditation, qui ne mange pas de viande, qui ne se plaint jamais de rien, même quand elle marche des kilomètres en portant un sac de vingt kilos sur les épaules.
En deuxième partie, si j'ose dire, le couple s'installe dans le village de Eus après qu'Émile ait fait une chute assez grave en montagne. À l'hôpital où il a été emmené, on a prévenu ses parents qui, tuteurs légaux, pourraient le rapatrier à Roanne. Alors, rapidement ils fuient l'hôpital pour reprendre la route. Pour éviter d'être poursuivie, et pour respecter la volonté d'Émile de ne jamais rentrer auprès des siens, Joanne propose à Émile de l'épouser, de manière à ce qu'elle devienne sa tutrice légale. C'est pour se marier qu'ils s'installent dans le village de Eus, délaissant leur vie de nomade, le code civil exigeant aux financés d'habiter au moins un mois dans un lieu avant que la mairie puisse célébrer le mariage. À Eus, ils occupent le premier étage d'une maison, chez une vieille dame de plus de 80 ans, du nom de Myrtille, avec qui ils se lieront d'amitié.
En troisième partie, le couple poursuit leur périple jusqu'à un village au bord de la mer. Émile fait des crises de plus en plus souvent tandis que Joanne se dévoile davantage. En effet, l'autrice commence à raconter le passé obscur de Joanne, les épreuves qu'elle a traversées, ce qui l'a poussé à quitter son village de Bretagne pour suivre Émile et s'engager auprès de lui jusqu'à la fin, jusqu'à sa fin, devrais-je écrire. Puis ils quittent de nouveau pour se retrouver dans le village d'Aas, toujours dans les Pyrénées. Hébergés par Hippolyte, un homme qui accueille des individus en échange de travaux de rénovation d'une église ancienne. Malheureusement, Émile commence à multiplier les crises, de sorte qu'il ne peut plus vraiment travailler sur le chantier. Hippolyte leur conseille de se rendre à Lescun, un hameau écologique dans le fin fond des Pyrénées. Une sorte de commune réunissant une cinquantaine d'écolos, ce genre de commune comme il en existait dans les années 1960. C'est ici que prendra fin leur périple, là où le roman se dénoue en une conclusion digne des grands écrivains du siècle.
Je ne raconterai pas la fin, bien entendu. Sachez simplement que le roman connaît un dénouement somme toute heureux malgré les malheurs qui ont éprouvés ces individus, marqués par la maladie et la lâcheté, notamment du premier compagnon de Joanne. Comment dire ? Tout le bleu du ciel est un beau roman, cela ne fait aucun doute. D'aucuns le qualifieraient de fleur bleue, mais cela ferait injure à la plume de l'autrice parfaitement maîtrisée. Le style du roman est particulier aussi : Mélissa Da Costa renonce au passé simple au profit du présent de l'indicatif, quand les personnages sont en action, et emprunte le passé composé et l'imparfait quand elle raconte un événement antérieur. La narration, d'ailleurs, est ponctué d'allers-retours entre le présent et le passé, mais cela ne gêne pas le lecteur qui s'y retrouve très bien. Le feel good associé - injustement ou pas - aux romans de cette autrice vient peut-être de là : malgré les épreuves que traversent les personnages, le style n'accuse aucune lourdeur, et le récit coule aisément.
Je termine cette trop longue note en mentionnant que ce roman conviendrait sans doute mieux aux générations actuelles, du moins à cette franche de la jeunesse qui, tout en ne méprisant pas le mode de vie de leurs parents, adopte sa propre voie. Cette génération qui aime bien la sagesse des livres de Paola Coelho, la méditation, le végétarisme, l'écologie, un certain nomadisme, la nature. Ce n'est pas un roman urbain, si j'ose dire. On est loin des mégapoles, des banlieues, des rave party, des trans, etc. Une jeunesse plutôt optimiste, finalement. Pas glauque pour un sous. Ça aussi, ça fait feel good, mais ce n'est pas nécessairement inintéressant.
Melissa Da Costa. Tout le bleu du ciel. Carnets Nord, 2019